27 août 2021

531. Hey ho, y a quelqu'un ?


Quand vous passez une poignée de trimestres autour d'une planète qui vous tuerait en moins de dix secondes si vous foutiez un pied dehors - et notez que ceci pourrait aussi bien se passer lors d'un confinement prolongé dans le clapier du haut d'une tour d'un ghetto des Quartiers Nord de Marseille -, il peut vous arriver d'oublier complètement l'impression que ça fait de jeter les yeux sur quelque chose de vivant. Dans ce genre d'habitat en vase clos, c'est étonnant l'effet que ce genre d'organisme peut avoir sur vous, ne serait-ce qu'une simple plante.

Il y a une fougère dans un pot au foyer du bureau de terra-formage à bord de ma station d'observation. Elle est à peu prés aussi haute que moi, quand je suis pieds-nus et tout mouillé, fière comme un paon dans son vase d'acier brossé, tordue et noueuse comme un cep de vigne avec ses arcs de feuilles dentelées et poilues.

Parfois, quand je pénètre dans le foyer - insouciant de sa présence - et tombe le nez dessus, un simple coup d'œil échappé en oblique et par inadvertance sur cette plante et c'est la vision fantastique d'une Walkyrie dénudée dansant et s'effeuillant telle une bayadère en plein milieu du couloir des cellules d'un couvent de carmélites qui me pénètre les yeux.

Je sais que vous allez me trouver bizarre ou extravagant, mais... parfois quand je sors d'une visioconférence tardive avec le contrôle terrestre et qu'il n'y a personne, comme d'habitude, à part les bouteilles vides et les verres sales posés à côté des cendriers que je fais exprés de laisser sur les tables désertées du foyer pour me donner une illusion de présences, je m'arrête prés de la fougère et j'en renifle l'écorce, sa moîteur profonde, humide et sombre. Si je pouvais la mettre en bouteille, je suis quasiment sûr d'être certain que je pourrais me faire des couilles en or et faire chuter en bourse les actions de Dior, Boucheron ou autres parfumeurs.

Mais vous ne comprendrez jamais vraiment qu'est-ce c'est quoi qu'une fragrance tant que vous n'aurez pas passé quelques mois là-haut.
Je rentre de Titan et je comprends que vous partez pour dix-huit mois en orbite autour de Ganymède. Désolé de pas vous y accompagner mais j'ai déjà donné, bon vol et à la revoyure, je crois que j'ai une meilleure vie à vivre ici...

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