16 juin 2021

508. Il court, il court, le furet !


03 Juin. Nous sommes seuls sur l'îlot maintenant, Hugolin et moi. Ce fut un sacré choc de devoir licencier Solobon et Dilfrezzi après toutes ces années, mais je n'avais pas d'autre alternative. Les petites bêtises et les conneries, j'aurais pu pardonner, mais quand ils ont essayé d'empoisonner Hugolin par simple malice ou méchanceté, il avaient fait obstacle au progrès scientifique. Et je ne pouvais pas fermer les yeux là-dessus.
Je peux pas croire que leur tentative ait été faite sous l'influence du chouchen ou du calvat, et ils étaient pas si maladroits que ça. La flasque d'arsenic avait été renversée et une traînée de poudre conduisait direct jusqu'à l'écuelle à Hugolin. La défense et les explications de mes deux collaborateurs avait été des plus fragiles. Ils avaient nié. Quoi d'autre ensuite ?

7 Juin. J'ai une vision un peu plus sereine de l'affaire Solobon et Dilfrezzi. La vie monastique ici avait dû devenir trop dure pour eux. Ça, et le renoncement à leurs précieux cobayes. Ils ont insisté jusqu'à la fin que les humains étaient plus adéquats et mieux adaptés qu'Hugolin pour mes expériences. Ils étaient plus à la hauteur de leurs espérances, j'en ai bien peur. C'étaient pourtant des travailleurs sérieux et volontaires, mais avec quelque chose de bourin quand même, pauvres garçons. 
Enfin j'ai désormais la  totale liberté de poursuivre mon travail sans les reproches muets de Solobon ou ceux colériques de Dilfrezzi. 
Je ne peux qu'attribuer leur antagonisme violent envers Hugolin à la jalousie. Et maintenant qu'ils sont partis, regardez comme Hugolin semble heureux ! Je lui laisse totale liberté d'aller et venir sur tout le périmètre, et quel ravissement c'est d'observer jusqu'où l'amène l'éveil de sa nouvelle curiosité intellectuelle. 
Après seulement deux semaines de traitements à l'acide glutamique, il s'est intéressé à ma bibliothèque, tirant les livres des étagères et les parcourant page par page.  Je suis quasiment sûr d'être certain qu'il entrevoit toutes les connaissances qu'il pourrait en tirer s'il seulement il en avait  la clé.

13 Juin. Durant ces deux derniers jours, j'ai dû garder Hugolin confiné,  et faut voir comment qu'y me fait la gueule. Je crains qu'une fois mes expériences terminées, je ne doive me débarrasser de lui. 
Aussi ridicule que ça puisse paraître, il y a toujours la possibilité qu'il soit capable de transmettre son intelligence à d'autres de son  espèce. 
Et aussi petite que soit la chance, le risque est trop grand pour être ignoré. Heureusement qu'il y a, au sous-sol, un caveau construit dans l'idée de garder la vermine dehors, mais qui accessoirement pourra tout aussi bien servir à confiner Hugolin dedans. Sécurité oblige.

14 Juin. Apparemment, j'ai parlé trop tôt. Ce matin je l'ai laissé fouiner un peu avant de commencer une nouvelle série de tests. Après un rapide tour de la pièce il est retourné dans sa cage, puis il en est ressorti silencieusement, a bondi sur la poignée de la porte de la bibliothèque et s'est emparé de la clé avec ses dents; et avant que je puisse l'arrêter, il s'était barré par la fenêtre. Le temps que j'atteigne la cour, je l'ai aperçu sur la margelle du puits, et je suis arrivé sur place juste à temps pour entendre le plouf de la clé quand elle est tombée dans l'eau en contrebas.
Je reconnais que je suis un peu gêné. C'est la seule clé. La porte est verrouillée. Quelques papiers de valeur sont dans des compartiments séparés à l'intérieur du coffre-fort. Heureusement, bien que le puits fasse plus de 12 mètres de profondeur, il n'y a pas plus d'un mètre d'eau dans le fond de ce trou, de sorte que la récupération de la clé ne devrait pas présenter d'obstacle insurmontable.
Mais je dois admettre que Hugolin a gagné le premier round.

15 Juin. J'ai eu une expérience assez secouante, et une fois de plus un  conflit mineur avec Hugolin. Et encore une fois, j'en suis sorti deuxième. Mais dans ce cas précis, j'admettrai qu'il a joué le rôle du héros et m'a peut-être même sauvé la vie.
Afin de faciliter ma descente dans le puits pour récupérer la clé, j'ai fabriqué une corde à nœuds. J'ai atteint le bas assez facilement, mais après seulement quelques minutes de tâtonnement sous la surface de l'eau, ma lampe torche étanche a rendu l'âme si bien que je voyais plus rien, même avec mes lunettes de piscine, et j'ai dû refaire surface. 
Arrivé à quelques mètres du sommet du puits, j'ai entendu les couinements excités  de Hugolin, et en arrivant au niveau du sol, j'ai remarqué que la corde était presque complètement effilochée et ne tenait plus que par un simple brin. Apparemment, elle s'était usée par frottement contre le coin de la maçonnerie et le petit prodige, comprenant le sort qui m'attendait, avait fait de son mieux pour me prévenir.
J'ai maintenant remplacé cette section de corde par un bout de chaîne pour éviter l'usure par frottement et que l'accident ne se reproduise. J'ai changé les piles de ma lampe de poche et je suis maintenant fin prêt pour la descente finale. J'ai pris quelques minutes pour reprendre mon souffle et mettre à jour mon journal. 
Je devrais peut-être me préparer un sandwich car je serai peut-être en-bas plus longtemps que je le pense.

16 Juin. Le pauvre Hugolin est mort et bientôt ça sera mon tour. C'était un merveilleux furet et la vie sans lui ne vaut pas la peine d'être vécue. Si quelqu'un comprend l'intensité de ma douleur, s'il vous plaît ne dérangez rien sur l'îlot mais laissez-le comme si que c'était un monument dédié à Hugolin, en particulier le vieux puits. Ne cherchez pas mon corps car je vais le jeter dans  la mer. Vous pouvez apporter quelques jeunes furettes et les laisser vivre ici pour rendre hommage et en mémoire à Hugolin si vous voulez. Que des femelles-pas de mâles. Hugolin, sûrement intoxiqué et rendu fou par les drogues que je lui administrais, m'a lacéré les tendons de mes deux poignets pendant que je grimpais et que je remontais et j'ai pas eu d'autre choix pour sauver ma peau que de le balancer au fond du puits où qu'il s'est noyé, c'est pourquoi que j'ai du mal à écrire. 
C'est ma dernière volonté. Faites qu'est-ce que je dis et ne revenez plus sauf pour y ramener des petites furettes, à la limite, des pangolines, et ne dérangez rien après les avoir déposées comme que je l'ai dit là-haut tout à l'heure. Et surtout, rappelez-vous,  juste rien que des femelles.
Ciao.

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