4 févr. 2021

468. Philofable


P'tite fable entendue je sais plus quand que c'était où, ni où ça que c'était quand, mais que j'ai jugé bon de déposer précisément aujourd'hui et ici-même sur ma moquette pour ceux qui comme moi sont emplis de questions en ces temps aussi peu sûrs qu'hautement incertains...

La jeune Evelyne Docku, la pimbêche qui vit dans la chaumière là-bas, à cent mètres du calvaire, vint trouver sa mère et lui raconta combien sa vie était difficile, dure et une bataille perpétuelle. Elle se demandait si elle allait y arriver avec tous les grains et les orages qu'elle traversait. Elle était prête à tout pour tout laisser béton, fatiguée qu'elle était de se voir ainsi secouée dans un océan de merde: à peine une déferlante était-elle passée qu'une nouvelle crête se pointait déjà en se soulevant telle une muraille. 
Sa mater lui dit d'aller chercher la bassine d'eau de pluie qui se trouvait devant le porche de la chaumière puis de la ramener dans la cuisine. Puis elle se mit à fouiller ses placards, ses étagères et son bahut et ramena près de la cuisinière trois casseroles qu'elle remplit de flotte avec l'eau de la bassine. 
Dans la première, elle déposa trois carottes crues, dans la seconde trois œufs frais, et dans la troisième trois cuillères à soupe de grains de café moulus. Puis elle foutut les trois gamelles sur la gazinière et les mit à bouillir. Elle régla son sablier sur une bonne vingtaine de minutes. "Et tu bouges pas de là !" qu'elle dit à sa fille qui trépignait du pied.
- Mais j'ai déjà manger, m'man...
- T'occupes, et regarde une alchimiste en action !
Une fois le sable écoulé dans le sablier, la mère Docku éteignit le feu sous les casseroles, puis pêcha les carottes et les œufs qu'elle déposa dans deux bols assortis. Puis elle versa le contenu de la dernière gamelle dans le troisième de la fratrie.
- Qu'est-ce c'est que tu vois maintenant, ma fille ?
- Gniiiii, je suis pas aveugle ! Des carottes, des œufs et du café servis dans des bols. Où-ce que c'est que c'est que tu veux en venir ?
- Ouais ben t'as pas bien observé. Approche toi un peu, palpe-moi donc ces carottes avec les doigts et dis-moi q'est-ce que tu ressens ! 
- Ben elles sont toutes chaudes...
- Ouais, et encore ?
- Ben elles sont toutes molles et avachies, je pourrais même t'en faire de la purée vu que t'as plus de dents, m'man !
- Exactement, ma fille, maintenant, fais la même chose avec les œufs.
- Ouch, ils sont brûlants !" s'exclama-t'elle en soufflant sur ses doigts, "Mais bon, c'est rien que des œufs cuits, non ?
- Regarde mieux, idiote, passe les sous l'eau froide, brise leurs coquilles et dis-moi ce qui est arrivé à ces œufs frais sortis pas plus tard que ce matin du trou du cul des poules ?
- Oh, m'man, ils se sont transformés en œufs durs !
- La magie de l'alchimie, ma fille. Maintenant, goûte moi ce café et dis-moi qu'est-ce que t'en penses.
Elle en but une gorgée. 
-"Mmmm, et il est très bon, m'man, corsé comme je l'aime, mais je le préfère avec du sucre !"
- Alors, quelle leçon tires-tu de tout ça, ma fille ?
- Ben, c'est sûr que t'es pas manchote avec des casseroles. Mais où c'est-que-c'est que tu veux en venir à la fin ?
- Vois-tu, ma fille, les carottes, les œufs et les grains de café moulus ont tous trois été confrontés à la même adversité, ils ont tous trois subis la même torture à l'eau bouillante mais ils ont tous trois réagi différemment. Lorsque j'ai mis ces carottes dans la casserole avant de les mettre sur le feu, elles étaient raides et dures comme celle de feu ton papa, le père Docku, du temps de sa splendeur, et tu aurais eu du mal à en casser une en deux sans te servir d'un couteau. Pourtant, après leur petit séjour dans l'eau bouillante, elles se sont affaiblies et ramollies si bien que je pourrais les avaler même sans mon dentier. Quant aux œufs, il étaient liquide à l'intérieur, protégés par leurs fines coquilles, mais après leur passage dans l'eau bouillante, leur intérieur s'est endurci. De liquide, il sont devenu solide. Les grains de café moulus, quant à eux, ont réagi de manière toute différente et unique: ils ont transformé l'eau.
- Ouais, ben tout ça, c'est la faute à l'eau de pluie que t'as faite bouillir...
- Ptêtre bien," répondit la matrone "mais sache qu'aucune goutte de pluie ne peut être tenue pour responsable de ce qui s'est passé dans ces casseroles, pas plus d'ailleurs que de l'inondation qu'a inondé le patelin l'année dernière." 
La grosse mère Docku fit trois pas en arrière et cala ses poings dodus sur ses hanches épaisses au dessus de son tablier; elle toisa la jouvencelle: "Lorsque l'adversité frappera à ta porte, comment réagiras-tu ? Seras-tu une carotte, un œuf ou un grain de café ? Seras-tu la carotte dure et raide comme celle de feu ton papa qui va perdre toutes sa solidité et se ramollir dans l'adversité, seras-tu telle cet œuf qui débute dans la vie avec un cœur tendre et malléable, un esprit fluide mais qui, après avoir été soumis au feu de l'action, aux difficultés, à une perte ou à l'adversité, même sous les dehors inchangés de son apparence, a vu son cœur s'endurcir comme de la pierre et son esprit se raffermir à l'intérieur , ou bien seras-tu comme ce grain de café qui a transformé cette eau bouillante, cette même circonstance censée lui apporter la douleur, qui, lorsque l'eau a atteint une certaine température lui fait relâcher son goût et sa fragrance ? Si tu es comme ce grain de café, lorsque les choses tournent au pire, tu pourras t'améliorer et changer la situation autour de toi, tu pourras te sublimer. Alors dis moi, petiote, quand les ailes de l'adversité projetteront sur toi leurs ombres, comment réagiras-tu à ces contraintes ? Seras tu une carotte, un œuf ou bien un grain de café ?"

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