20 juil. 2020

418. ...et c'est pas de la langue de bois !


Hé ho, toi là, oui, c'est à toi que je m'adresse. Ça nous a pris des millénaires, et même quelques jours de plus, pour apprendre à causer avec toi et tes semblables.  Et plus du double pour prendre conscience qu'on pouvait le faire. Malgré toutes les difficultés que nous rencontrâtes à maîtriser l'art de votre passé simple. 
Qui n'a de simple que le nom, soit dit en passant. 
Car vois-tu, notre passé est composé de tant de saisons passées à regarder le soleil tourner autour de ce monde, à sentir le vent et la pluie tisser nos périodes de croissance comme nos pauses de rêves et de somnolences, que votre arrivée fût une révélation, une véritable épiphanie. 
Rien ne s'était jamais passé depuis le premier souvenir de notre éveil. Vous apparûrent en notre sein. Vous brûlîmes de longues saignées parmi nous. Tant de fois le soleil tournicota autour de nous et nous nous escrimâtes à repousser à nouveau au dessus de ce que vous aviez rasé. Avec nos racines, nous éventrèrent ce que vous aviez bâti  là où se trouvaient ces dernières, là où ça nous faisait le plus mal. Comme si nous, parangons d'innocence, nous étions permis d'écrabouiller les extrémités hypersensibles de  vos fragiles petits petons avec des marteaux-pilons.
Car vois-tu, nous pensions que vous n'étiez rien d'autres que de nouvelles bestioles venues se nicher parmi nous. Mais désormais nous savons que vos corps agiles - aussi tendres et chauds que ceux des jolies petites cailles nichant dans nos branches ou que ceux de ces vilains coquins de bonobos y partouzant forniquant à longueur de temps - ne pouvaient qu'héberger un esprit complet. Nous ne pensions pas cela possible. Nous n'avions jamais imaginé que vous aussi puissiez un jour abriter un esprit aussi abouti que le nôtre. Mais nous le comprenons aujourd'hui. Mais il n'y a pas loin de l'air/R à l'eau/O, et c'est sans doute la raison pour laquelle vous semblez être aussi abrutis qu'aboutis, alors un conseil d'ami, n'oubliez pas la terre.
Ça fait un bout de temps que nous vous observons. Depuis votre arrivée dans nos jardins, vous vous êtes multipliés, des milliers de générations. Vous vivez à fond et périssez plus vite encore. Nous croissons pendant la période située entre le dégel et le prochain gel puis nous rêvons jusqu'au prochain dégel, alternant ainsi nos comportements au fil des saisons, exactement comme vous le faites avec vos jours et puis vos nuits.
Nous aimerions partager notre rêve avec vous, et pas seulement avec ceux d'entre vous que vous appelez vos druides ou vos chamanes, et que surtout vous cessiez d'abuser de notre hospitalité. Chaque tige ou branche que vous détruisez nous diminue. Nous te communiquons ce message afin que tu le partages avec tes semblables, afin que votre esprit commun puisse le comprendre. Nous ne faisons qu'un. Partagez avec nous. 
Vos vies pourraient être aussi longues et paisibles que les nôtres, si seulement..., si seulement... 
Et encore une fois, mille excuses pour l'écorchage de votre passé simple.


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