16 mai 2020

399. Chocolat noir

Je me sentais grippé, un peu probablement, mais possiblement un chouïa plus que ça . Une fièvre carabinée dont je ne saurais vous décrire avec précision ni le niveau ni la nature, par manque de tests comme vous le sauriez si votre cerveau n'était pas, à l'image du mien, globulement atrophié, mais aussi pasque j'avais renoncé à chercher où que j'avais bien pu ranger notre putain de thermomètre. Je m'étais endormi sur notre canapé lorsque la fièvre se déclara, et qu'un rêve horrible se mit à suinter au travers de mes synapses.

J'expérimentai un glissement de terrain.
Une véritable coulée de boue. Oh, pas la coulée ordinaire telle la multitude de celles que vous avez pu voir sur BFMTV (Bobards, Foutaises & Mensonges télévisés) après qu'elles aient dévalé sur quelque village de province ou autre vallée d'un lointain pays dont personne ne se soucie sauf si qu'on attache quelque importance à son chocolat, son café, ses carnavals, ses papayes ou ses travelos. 
Il n'y avait pas de débris, pas de cadavres putréfiés ou flottants, pas de maisons renversées ni d'arbres déracinés traversant votre salon, même pas de coupures d'eau ou d'électricité. 
Non, c'était une coulée onctueuse, visqueuse et gluante, comme une coulée de chocolat noir - costa-ricain je présume presque sûrement vu l'absence de corps étrangers ou d'huile de palme - étalée sous le même soleil qui sert à fondre les glaces de la banquise comme à dorer les peaux de la Côte d'Azur. Vous marrez-pas, j'suis très sérieux.

Ça commença chez moi, dans mon salon, j'étais tout seul, donc, devant BFM. Je sentais bien qu'y s'passait quelque chose qu'était pas clair, disons une intuition. Une intuition, vous savez, ce truc issu du résultat direct d'un raisonnement en mode automatique se développant dans le subconscient, basé sur des données qu'on n'est pas toujours pleinement conscient de posséder.
Ça manquait d'ailleurs un peu d'ambiance : Tout glissait dans le même sens. La parole unique, le discours des sachants, la réfutation officielle et le nettoyage assommant du savon savant de Marseille. 
Les retombées d'un désastre se profilaient devant moi mais tout était d'un calme olympien, comme dans l'oeil unique du vortex d'un cyclone. 
Tout le monde se tenait debout autour de moi, l'air soulagé, comme s'ils venaient d'échapper à la mort. Y en a même qui me souriaient, leurs yeux clignotant comme les loupiotes d'un sémaphore, me rendant grâce de ma présence. Ou bien de la leur, allez savoir...

C'est alors que ce mec en blanc me fit signe de sortir de ce cul de basse fosse en soulevant le filet qui en obstruait l'entrée. Je tendis une main tremblante et implorante vers la sienne pour tenter de l'aider à m'extirper de ce cloaque chocolateux, mais les lacets de mes baskets se prirent et s'emmêlèrent les pinceaux dans les mailles. 
C'est à cet instant que le piège prit vie en s'animant et se mit à grimper le long de mes mollets puis le long de mes cuisses pour tenter, enfoiré de traître insipide,  de me ramener au fond de cette oubliette.
Des cris de terreur se mirent à jaillir de partout tandis que le mec en blanc tentait toujours de m'extraire de là. Il sortit un surin et se mit vaillamment à taillader et lacérer les mailles voraces pour me libérer les cannes.

Dans un bruit de succion comme seules savent en produire les classes aisées, les classes à l'aise, les films hollywoodiens ou les chasses d'eau, le trou crémeux engloutit le filet tel un aspirateur avalant une boule de poils. Puis je vis la seringue dans la main gauche du mec en blanc qui avançait sur moi avec la précision d'un missile de croisière téléguidé, prêt à m'explorer de son venin vénéneux - je crois qu'il avait des ailes mais je suis plus trop sûr- ...geste qui fût instantanément suivi d'une lumière blanche aveuglément intense.

Si j'avais pas vu les veines sur le bois dont était fabriqué le rouleau à pâtisserie qui s'éloigna alors de ma joue gauche, j'aurais parié la moitié de mes dents contre la totalité des vôtres - plus mon dernier carambar satoshi - que c'était un parpaing de cinquante que Marylou venait de me balancer en travers de la tronche. 
Je secouai ma gueule, désormais pour moitié enflée comme une pastèque, pour l'autre blanche comme un fantôme de neige, les joues livides et les yeux éberlués de tant d'émotion ainsi que par le choc psycho-cérébral du réveil acrobatique de mon cervelet.
- Pourquoi avec un rouleau à pâtifferie ? demandai-je à Marylou, lorfque je repris mes efprits, en recrachant une gerbe de caillots de fang dont trois molaires.
- T'étais dans de sales draps, coco, et j'avais rien d'autre sous la main pour te sortir de ton cauchemar, je te préparais un gâteau...

Le jour fuivant, j'étais tellement fatigué que Marylou, pour fe faire pardonner, m'offrit un mafque et un tuba. 
Au cas où que j'm'endormirais dans ma foupe, j'fuppose. Ou dans mon tapioca liquide.
- Oh, coco, tu es vivant ! Je suis tellement soulagée de pas t'avoir tué ! f'exclama-t'elle après m'avoir remis le paquet cadeau et jeté une paire de bras goulus autour du cou.
Avant de lui répondre " Moi auffi, bébé, moi auffi..." , faut que j'préfise que Marylou a promis de m'aimer, de m'honorer, de f'occuper de ma leffive et de mon ptit déj' tous les matins jufqu'à fe que mort f'enfuive. Ou que felle-fi nous fépare, on verra bien...

-----O-----