10 août 2005

79.Voyage, quand tu nous tiens

Vous n'avez que quelques demi-secondes pour décider à côté de qui vous allez vous asseoir lorsque vous aller monter dans le train (sauf si c'est un TGV). Le train a quelques minutes de retard et est plus qu'à moitié plein. La femme derrière vous, avec son sac à l'odeur étrange - on dirait du skaï qui transpire - et les cheveux en bataille et grisonnants, a déja les yeux sur un siège. Vous le savez parce que vous pouvez sentir la chaleur émanant de son corps agité, son souffle chaud et humide vous appuie sur la nuque comme la mousson. Même bombardé de ces sensations, votre étonnant cortex a la capacité de deviner que quelques minutes auparavant, elle s'est envoyé un sandwich camembert pain à l'ail. Vous soupçonnez aussitôt, en marin-météorologue averti, des fuites de gaz dans un futur proche.
Votre mission, si vous l'acceptez, est de trouver un(e) voisin(e) le (la) moins ennuyant(e) possible pendant les 97 minutes que va durer votre voyage. Choisissez bien et vous pourrez agrémenter votre temps de parcours d'une petite sieste ou lire quelques pages de votre bouquin préféré.
Si vous échouez, ce sera un voyage en enfer. La tâche est compliquée, la tâche est ardue, digne d'un jeu vidéo, nécessitant des sens hyper-développés et des réflexes de mouche à merde. L'homme en costume bleu? Trop gros et visiblement déja entrain de prier que personne ne vienne s'asseoir à ses côtés. La femme dans la robe fleurie? Dans le processus de se noyer dans une nappe de Chanel No5.
L'adolescent fluet avec son T-shirt "Anarchy" et son lecteur MP3? Bingo. Il regardera par la fenêtre pendant tout le voyage en passant à son teckel et à son bout de viande rose qui lui sort entre les dents quand il l'exite, le T-shirt ne lui servant qu'à se donner une composure.
Votre choix est fait. Dans le train, vous savez vous montrer civilisé, profondément plongé dans vos pensées industrieuses comme dans vos habits de voyage; rien qu'une ou deux vestes en jean à l'horizon, pas de cheveux bleus ou casquette de base ball dans la voiture. Vous ressentez déja une certaine camaderie avec ce tout petit nombre de rebelles dans votre vieux slip usé au niveau de la ceinture. Vous vivez dangereusement. A l'intérieur, c'est une bataille que vous livrez. Qui aura le contrôle de ces quelques millimètres de vinyl et d'espace libre entre vous et votre voisin.
Une fois, je me suis trouvé engagé dans une telle bataille avec une quinquagénaire asiatique. Il y avait pourtant encore quelques places de libres dans ce foutu train, aussi pestais-je lorsqu'elle vint atterrir à côté de moi avec son faux sac à main Cacharel. Ne savait-elle donc pas que tout réside dans le système de fermeture? J'aurais pu lui confier que mon ami sénégalais en vendait de bien meilleurs aux touristes hollandais dans les rues de Vannes, mais elle sortit son Ouest-France du dit sac et commença à le feuilleter, les pages de son canard envahissant mon champ de vision. Je grommelai sans succés.
Les flêches que je lui décochai alors mentalement du regard déviées par son manque d'intérêt.
Ainsi acculé à la déloyale, j'ouvris en grand la fenêtre malgré une température largement en dessous des normes saisonnières, à seule fin de créer une mini-tornade.
Ô, combien je jouis lorsqu'elle débuta un kata digne de Kill Bill 2 à seule fin de conserver son intégrité aux feuilles de papier écartelées. Je chantais mentalement un chant de marin. Friggin' in the riggin' si j'me souviens bien...
Puis je me relaxai dans mon siège, triomphant tel un captaine vainqueur de la tempête lorsqu'elle se décida enfin à bouger son cul...
Fin de la première partie.